dimanche 31 décembre 2017

Une chanson érotico-catho-stoïcienne pour bien finir l'année.

Je suis tombé hier sur un livre d’un antisémitisme tout à fait hyperbolique, je vous en citerai quelques extraits à l’occasion (je vous dois 12 jours de plus, correspondant à mes vacances d’été, pour ce début d’année ; après quoi je suis censé arrêter cette livraison quotidienne, je m’étais engagé pour un an), mais vous proposer de telles saillies pour l’arrivée de la nouvelle année pourrait être surinterprété. Une chanson populaire recueillie par Henri Pourrat me semble de meilleur aloi : 

Chanson de la Youyette

De bon matin, Pierre se prend, se lève, (bis)
Met son chapeau dessous son bras, 
Chez la Youyette il s’en va.

 - Bien le bonjour, beau-père et belle-mère, (bis)
Que le bonjour vous soit donné, 
A la Youyette je veux parler.

 - Mais la Youette, elle est à la grand-messe, (bis)
A la grand-messe à Saint-Denis
Tardera pas à reveni.

- Par qui pourrions-nous l’envoyer cherchèye ? (bis)
Son frère Jean qu’est bon garçon
Fera très bien la commission.

Tout en entrant dans la sainte église, (bis)
Prend l’eau bénite en se signant : 
 - Allons Youyette, allons-nous-en !

 - Qu’est-ce qu’il y a donc à la maison qui presse ? (bis)
 - Ton ami Pierre est arrivé
Son tendre coeur veut te parler. 

 - Que l’on apporte, ici, sur cette table, (bis)
Du bon vin blanc, du saucisson
Pour régaler ce bon garçon.

 - Je ne suis pas venu ici pour boire, (bis)
Ni pour boire ni pour manger, 
A la Youyette je veux parler.

 - Mais la Youyette, elle est encore trop jeune, (bis)
Faites l’amour en attendant
Que la Youyette elle ait vingt ans !

 - L’amour, l’amour, je l’ai bien assez faite ! (bis)
Est sujet à perdre son temps
Qui fait l’amour par trop longtemps.


Bon réveillon à tous, et merci de prendre la peine de me lire !

samedi 30 décembre 2017

Là où la différence fait défaut, la violence menace...

"Claude Lévi-Strauss nous met en garde : « Chaque culture se nourrit de ses échanges avec d’autres cultures. Mais il faut qu’elle y mette une certaine résistance. Faute de quoi, rapidement, elle n’aurait plus rien qui lui appartienne en propre à échanger. » René Girard est plus sec et plus précis : « Là où la différence fait défaut, c’est la violence qui menace », dit-il. Comment connaître l’autre et, du coup, le reconnaître et le respecter si l’on ne sait plus ce que l’on est soi-même ? Bien avant eux, Thomas Mann s’était déjà exprimé sur ce sujet : « Bien sûr, un grand Français, un grand Russe, un grand Allemand “ appartiennent à l’humanité ”, mais ils ne seraient pas si grands et n’appartiendraient donc pas à l’humanité, s’ils n’étaient à ce point allemand, français et russe. »"

Jean Clair est comme votre serviteur, il choisit bien ses citations…

vendredi 29 décembre 2017

A la fin des années 90, Jean Clair évoque les stratégies culturelles et artistiques américaines des années 60-80.

"C’est en fait à une homologation des formes multiples de la modernité que l’Amérique procédait. Pragmatique, utilitariste et puritaine, elle mettait en place un système où l’oeuvre singulière n’avait plus désormais de valeur qu’autant qu’elle se révélait homologue d’une autre, apte à se caser et à s’écraser dans une des cases préparées à la recevoir, comme un fruit calibré dans sa chaîne d’emballage, au sein de la grille qu’on lui avait préparée. L’Europe, royaume de l’hétérologie, foyer des différences, patrie des dissimulations, fut la victime élue de cet aplatissement. L’Amérique, bien que tout à fait capable de comprendre et de goûter la diversité, la variété, la saveur plurielle de l’habitus européen, de goûter à la richesse sensuelle de ses goûts, de ses distinctions, de ses nuances, de ses façons de bouche et de ses rites de table, tout comme de comprendre la richesse sémantique de ses dialectes, de ses coutumes de société, de ses rites, de ses finesses théoriques, d’apprécier enfin tout ce que des des siècles avaient lentement, patiemment et savamment façonné, ne s’en tenait pas moins à distance et n’hésita pas, sans trop d’état d’âme, à réduire à un dénominateur commun (ce serait un équivalent du réductionnisme gauchiste et tiers-mondiste, piste à suivre… note de AMG), quand même elle semblait les respecter, les particularités et les singularités des différents pays d’un continent qui n’étaient guère plus à ses yeux que les résidus de minorités archaïques. Sûre de l’universalité de ses valeurs et de la vertu de sa démocratie, elle les traiterait comme n’importe quel territoire à coloniser. 

Pour un capitalisme mondialisé dont elle demeure plus que jamais le centre, le multiculturalisme constitue en effet l’idéologie idéale. A partir de la position universelle abstraite qu’il prétend occuper - tout comme la France, naguère, qui se voulait le foyer de l’universel, l’exerça, faut-il le rappeler ? à l’égard de ses colonies -, il s’agit de traiter toute culture locale comme le colonisateur traite les peuples colonisés, c’est-à-dire comme des « indigènes ». Le privilège abstrait de l’universel permet d’évaluer, c’est-à-dire de sous-évaluer, toutes les autres cultures. C’est précisément en prétendant les étudier, les connaître et les « respecter » que le multiculturalisme impose sa supériorité."

Il en est des Américains (culturellement et politiquement, c’est d’ailleurs lié chez eux plus que chez les autres) à l’égard de l’Europe comme il en est, selon une remarque de Bonnard que je vous retrouverai à l’occasion, des Juifs à l’égard des pays où ils vivent : un mélange de respect et d’envie que ces formes perdurent dans leur être d’un côté, de rivalité et d’envie et que ces formes ne perdurent pas trop  non plus dans leur être, de l’autre côté. Il faudrait que l’Europe reste exotique, mère de l’Amérique, prospère aussi pour qu’il soit agréable aux Américains de s’y promener - mais pas trop prospère, et qu’elle ne se mêle pas d’évoluer, surtout pas, toutes exigences contradictoires sinon schizophrènes qui se retrouvent aussi bien dans la politique économique et culturelle américaine que dans le comportement des touristes américains tel qu’on peut le voir en France. 

Une incise pour finir : Jean Clair comme Baudrillard ont bien connu les États-Unis, le premier au moins les a aimés. Cela aide à avoir un regard décalé sur les deux civilisations. 

jeudi 28 décembre 2017

"Un loisir de masse qui se nourrit des objets culturels du monde...."

"La culture n’est pas la réduction à un idiome qui se voudrait universel, et qui n’est qu’une abstraction technique. Elle n’est pas la diffusion de masse d’un message biblique qui aurait été réécrit, condensé, digéré, réduit à l’état de bouillie pour être compris. C’est pourtant ce que l’industrie des loisirs, telle que l’Amérique allait en imposer l’usage, ce « facile à consommer »  de la pseudo-culture des mass media de l’après-guerre, allait dicter comme loi à la création en Europe.

Ce qui vaut pour la langue vaut pour l’art. La nature de l’oeuvre d’art, analyserait Hannah Arendt, est atteinte quand ses objets eux-mêmes sont modifiés : « Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Le résultat n’est pas une désintégration, mais une pourriture (…, coupure de Jean Clair) Le résultat, insiste-t-elle, est non pas bien sûr une culture de masse qui, à proprement parler, n’existe pas, mais un loisir de masse qui se nourrit des objets culturels du monde. Croire qu’une telle société deviendra plus “cultivée” avec le temps et le travail de l’éducation est, je crois, une erreur fatale. »"

mercredi 27 décembre 2017

Jean Clair, suite... "C'est vieux comme le monde, la nouveauté."

"La modernité est chose ancienne. C’est au VIe siècle, chez Cassiodore, qu’apparaît en bas latin le terme de modernus. Est modernus ce qui manifeste le propre du modo, soit ce qui manifeste la qualité du juste, ce qui garde la mesure, ce qui est contenu dans la notion du récent. Est moderne non pas ce qui annonce ce qui vient, mais ce qui s’accorde, au sens quasi musical du mot, au moment. Moderne est ce qui trouve, conformément au modus qui constitue la racine du mot, la mesure entre le temps qui vient de s’écouler et le temps qui va venir. (…)

Ainsi, le terme de moderne gardera longtemps quelque chose de la racine dont il est né, c’est-à-dire l’équilibre, le juste milieu, la modération. C’est la limite à ne pas franchir, c’est aussi le modèle. Comme dans le grec arti, la qualité du moderne, c’est de « tomber juste », d’être la bonne mesure, de trouver le bon dosage entre l’ancien et le nouveau, un équilibre dans le rapport au temps.

C’est vers 1830 seulement, il y a un siècle et demi, que le terme de moderne va finir par signifier son contraire, c’est-à-dire l’idée de la quête incessante et fébrile du seul nouveau, et son exaltation. Nul doute qu’aux yeux des anciens moderni, pareille impatience eût été incompréhensible, qui ne tient plus l’assiette égale dans la saisie du temps, mais qui, faisant osciller le fléau de la balance autour du couteau du moment présent, ne veut plus considérer que ce qui doit advenir. Autrefois norme, équilibre, mesure et même harmonie, accord avec le temps, le moderne devient à l’inverse excès, démesure, inquiétude, dissonnance. 

Pourtant Baudelaire lui-même, le premier à user du mot de modernité dans son acception actuelle, revendiquant avec lui la valeur particulière de l’esthétique de son temps, gardait à l’esprit quelque chose de son sens ancien. S’il le fait sonner comme un mot d’ordre, il ne rappelle pas moins à son lecteur que la modernité « n’est jamais que la moitié de l’art ». « L’autre moitié, dit-il, est l’éternel et l’immuable ». La postulation vers l’actuel, l’éphémère, le goût du transitoire et du fugitif, le besoin de l’inouï et du jamais-vu, tous ces traits de la vie moderne doivent ainsi, selon lui, être toujours accompagnés, mais aussi mesurés, pondérés, justifiés par une postulation égale mais inverse vers l’immobile et le toujours présent. (…) Prise entre la fulguration maniaque du nouveau et la pétrification mélancolique du passé, la modernité pour Baudelaire est toujours déchirement, balancement, postulation simultanée, équilibre entre la prise et la dépossession, la jouissance et le deuil. Elle n’est pas jubilation de ce qui va venir, mais conscience aiguë de la fugacité. (…)

Aussi le sens de la modernité est-il antinomique de celui du progrès, cette idéologie positive, optimiste et niaise propre aux bourgeois autant qu’aux socialistes dira Baudelaire, qui ignore le doute, l’angoisse, la douleur, la mélancolie et qui, de la vie, ne veut connaître que des lendemains triomphants. « Le progrès, religion des imbéciles et des paresseux (…) idée grotesque qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne. » [la coupure est de Jean Clair, note de AMG]

C’est dans la même haine de l’esprit guerrier que Baudelaire enveloppe l’idée d’avant-garde. (…)

La protestation de Baudelaire, qu’il élève au nom de la modernité, ce « moyen », ce modèle équilibré entre deux tensions contraires, l’éternité du chef-d’oeuvre et le frisson de la découverte, est donc à cet égard la protestation d’un classique, qui rappelle la nécessité, pour « moitié », de respecter les lois intangibles du goût et de la logique qui régissent les arts. Elle sera partagée par la plupart des grands noms de la modernité qui tenaient tout comme lui les idées d’avant-garde et de progrès en suspicion. (…)

La simultanéité d’apparition des deux noms [modernité et avant-garde, note de AMG] dans le vocabulaire artistique ne doit pas inciter à les confondre, mais au contraire à les distinguer : ils renvoient à des réalités opposées."


Et c’est bien sûr là qu’est l’escroquerie intellectuelle, qui était déjà enseignée au lycée dans les années 80, mettre Baudelaire, Delacroix, voire même Flaubert (ne fut-il pas romantique quand il avait 18 ans ?), d’un côté, et des penseurs de printemps comme Breton, Sartre, Vaneigem ou n’importe quel artiste d’avant-garde autoproclamé ou non, dans le même sac, alors que les premiers ont explicitement critiqué tout ce qui pouvait être avant-gardiste. Si tous ceux qui disent du mal des bourgeois étaient d’accord sur les principes les plus essentiels, s’il suffisait de dire du mal des bourgeois pour ne pas être bourgeois soi-même, ce serait trop simple et trop facile… La perversité, c’est qu’à force d’accumulation d’erreurs, de mensonges, d’approximations ou d’idées reçues, se forme une bulle coupée du réel mais qui d’une certaine façon se suffit à elle-même, au point que chaque fois que l’on réalise que sur tel ou tel, « on nous aurait menti », on n’imagine pas que cela remette en cause le schéma d’ensemble. Un jour, oui, à force, le grand-duc est nu et l’on finit par s’en rendre compte, mais que de temps perdu avant cette prise de conscience, vingt ans, trente ans… si elle se produit.  

(D'où, soit dit en passant, l'idée de ce comptoir comme une sorte d'arsenal où piocher, à force de contre-exemples et d'arguments contre cette galaxie théorique fictionnelle et creuse qu'est l'idéologie du progrès...)

mardi 26 décembre 2017

Jean Clair encore (fin des années 1990).

"La question demeure : comment se fait-il que, de l’ensemble des idéologies de notre siècle, l’avant-garde est la seule à n’avoir pas su affronter sa critique ? Nous aurons vécu, ces derniers vingt ans, l’écroulement des doctrines qui ont marqué notre époque. Mais la doxa avant-gardiste, si liée pourtant aux utopies politiques, modelée qu’elle fut dès son origine sur leurs prémisses et leurs théories, tout comme elle est liée aux croyances ésotériques du tournant du siècle, semble aujourd’hui aussi intouchable qu’hier. Elle demeure, dans ses errements, sa violence, sa haine de la culture, son « dogme antihumaniste consciemment érigé en programme d’action », pour reprendre les termes de Zweig, parée tout à la fois des prestiges de la révolte individuelle et de l’apport du progrès des arts au bien commun. Chérie des programmes ministériels de développement culturel, institutionnalisée et fonctionnarisée, elle prétend cependant toujours incarner l’esprit de l’insoumission au pouvoir établi. D’où vient que demeure cet étonnant privilège ? Car il ne s’agit plus, bien entendu, de subversion des valeurs établies. Aucun État n’a jamais subventionné la subversion de ses propres valeurs. 

La foi dans les utopies politiques, de droite comme de gauche, du bolchevisme au nazisme, que l’avant-garde en art a non seulement partagée, mais dont elle a fourni quelques-uns des principaux articles, est retombée. Depuis lors, l’esthétique avant-gardiste reste en l’air. D’autant plus fanatique et intolérante de devoir désormais prêcher dans le vide."


 - subsiste le substrat de l’utopie maçonne antichrétienne, mais qui manque, c’est paradoxal et c'est bien fait, d’incarnation, comme il en avait trouvé avec le bolchevisme et le nazisme. Ces utopies proposaient quelque chose, l'antichristianisme de l'art contemporain est une fin en soi, une boucle bouclée, un ressassement éternel, comme dirait Blanchot - ou la culture de l'art contemporain, comme on  dit que la culture est ce qui reste quand on a tout oublié.

(Je date mes citations de J. Clair pour permettre au lecteur de mieux juger de ce qui a changé ou non depuis la rédaction. J'apprends en parcourant sa fiche Wikipedia qu'il a été élu à l'Académie Française en l'emportant contre Pierre Bergé. Sans prêter à cette vénérable institution plus de respect que nécessaire, cela m'a fait sourire et m'est apparu comme une bonne nouvelle). 

lundi 25 décembre 2017

Nous serons bientôt tous des Juifs errants.

Rentrant hier soir 24 décembre en métro avec ma famille d’un sympathique et excellent mais lourd dîner, les organes imbibés d’alcool et de bonne graisse, contemplant cette ambiance encore plus délétère que d’habitude, ce désastre qu’est la juxtaposition de Français encore aisés, parfois gras (pas moi !), les sacs garnis de cadeaux dont l’accumulation n’évoque que de très loin la charité chrétienne, d’immigrés plus ou moins récents qui de tout cela n’ont rien à faire - sauf qu’une partie devait rentrer de restaurants où ils travaillent et où ils avaient aidé les Français, lesquels ne s'abaissent plus à ce genre de boulots, à s’empiffrer et à se boucher les artères -, et de mendiants plus agressifs encore que d’habitude, je repensais à l’idée qui m’était venue spontanément l’après-midi d’utiliser comme citation de Noël le fameux choeur des Hébreux dans Nabucco (Verdi), la plainte de ceux qui sont sous férule étrangère et qui rêvent à leur patrie perdu et dominée. 

L’appliquer aux Français de 2017 n’est certes pas sans fondement, mais tout de même un peu culotté, surtout lorsqu’on est soi-même en train de s’habiller pour aller chez sa mère se gorger de Pouilly-Fussé et de chapon farci. C’est finalement en me disant que la situation actuelle est, en tout cas en ce moment, mauvaise - à des degrés divers - pour tout le monde, que j'ai réalisé qu’en élargissant le propos aux différentes catégories de population que j’avais sous les yeux - les campements de clodos que sont certaines stations de métro les soirs d’hiver, et qui doivent réjouir les employés de la RATP (des Africains pour la plupart) le matin quand ils ont à faire disparaître les traces corporelles laissées là la nuit par ces sans domicile fixe, inclus -, mon idée de départ y gagnerait en pertinence. 

Ironie quelque peu soralienne, les Hébreux ont, depuis l’époque de Verdi, retrouvé leur patrie, d’où certains d’entre eux ne manquent pas d’aider à mettre le bordel dans la nôtre. Ironie encore, le rôle des Américains dans l’histoire, leur maudit penchant à jouer les apprentis sorciers, qui fait qu’ils ne peuvent s’empêcher d’affaiblir une Europe avec qui ils pourraient jouer un jeu « gagnant - gagnant », comme disait F.-X. Verschave dans le temps, une Europe qui va être bien obligée d’emprunter à l’Amérique en question une part de ses indéniables qualités (pragmatisme, capacité d’agir dans un certain sens une fois qu’on l’a décidé) si elle veut survivre. C’est triste à dire, mais nous devons copier à certains égards ces occupants objectifs que sont Israël et les États-Unis si nous voulons échapper à la domination qu’ils exercent sur nous (sur le parallèle entre la France et Israël, je rappelle en avoir souligné les évidentes limites il y a un mois : http://cafeducommerce.blogspot.fr/2017/11/ach-rioufol_10.html). 

Ceci étant, et après je m’arrête, vous avez des cadeaux à déballer et des jouets à monter pour vos gosses, il y a Israël (le sionisme), il y a les Juifs, et il y a le capitalisme déstructurant, qui n’est faut-il le préciser pas que juif, et qu’un Juif un rien antisémite comme Marx dénonçait avec vigueur à peu près à l’époque où Verdi composait Va pensiero. Je me permets ici de renvoyer à ce vieux texte sur les Mercuriens et les Apolloniens (http://cafeducommerce.blogspot.fr/2009/09/election-piege-c-ii.html), qui m’est revenu à l’esprit mercredi dernier (20 décembre) lorsque je vous parlais de la place des marchands dans la société. Je ne l’ai pas relu dans le détail, je ne sais pas si je serai aujourd’hui d’accord avec tout, mais la thèse d’ensemble de l’auteur me semble éclairante.


J’y ajoute pour finir cette citation de Julien Freund, que j’ai découverte hier et que j’ai peur d’oublier : 

"Dans la mesure où la patrie cesse d’être une réalité vivante, la société se délabre non pas comme le croient les uns au profit de la liberté de l’individu ni non plus comme le croient d’autres à celui de l’humanité ; une collectivité politique qui n’est plus une patrie pour ses membres cesse d’être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d’une autre unité politique. 

Là où il n’y a pas de patrie, les mercenaires ou l’étranger deviennent les maîtres. Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s’agit d’un hasard qui nous délivre d’autres."

Les mercenaires : la racaille d’en bas et les immigrés économiques ; l’étranger : l’UE, les États-Unis, les lobbys pro-Israël, etc. J’aime bien, et c’est aussi pour cela que je vous cite aujourd’hui cette phrase, n’ayant pas envie de passer pour plus nationaliste que je ne le suis au fond, ce passage modeste : 

"Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s’agit d’un hasard qui nous délivre d’autres."


Bref : bonne musique et joyeux Noël ! 



dimanche 24 décembre 2017

"Certains croient même que le Mal n'existe pas."

(Patrice Jean, dans son interview par Eugénie Bastié, que j'ai déjà relayée sur Twitter).

Cette question de l'existence du Mal est nodale. A preuve, ou, à tout le moins, comme par hasard, la non-croyance à l'existence du Mal coexiste souvent avec la promotion de l'avortement.

Bonne dernière journée avant Noël !

samedi 23 décembre 2017

...la messe nous emmerde.

"A l’aube du second millénaire, le moine Glaber s’émerveillait de voir s’étendre sur l’Europe « le blanc manteau des églises ». A la fin de ce même millénaire, on pourrait s’émerveiller de voir se dérouler en Occident le manteau gris des musées. Au cours des années 70, si l’on en croit le Conseil international des musées, un musée nouveau fut en moyenne construit chaque semaine de par le monde. Chaque ville, durant la décennie, voulut avoir le sien, comme à l’aube du XIe siècle chacune prétendait à avoir son église cathédrale. Les institutions anciennes se mirent à s’agrandir avec frénésie. (…)

Au XIe siècle, le culte de reliques devait précipiter l’érection des abbayes et décider des nouvelles voies de communication. Aujourd’hui c’est le culte des oeuvres d’art qui pousse à construire ces temples nouveaux et qui ordonne les grandes transhumances culturelles du tourisme occidental. Dans l’habit du pèlerin moderne, le Baedeker a remplacé la coquille : on processionne autour des tableaux avec la même dévotion aveugle que jadis autour du corps de saint Philibert. 

Il n’est pas sûr cependant que l’oeuvre d’art soit bénéficiaire d’un pareil engouement. (…) 

Le développement extraordinaire, en cette fin du XXe siècle, des musées dits « d’art moderne »" serait… le signe, non d’une renaissance spirituelle, mais à l’inverse le signe spectaculaire que nous vivons la fin, non de l’art, ni même peut-être la fin de la modernité, mais que nous vivons la fin de l’idée de l’art moderne. 

« Les musées se rempliront vite d’objets dont l’inutilité, la grandeur et l’encombrement obligeront à construire, dans les déserts, des tours spéciales pour les contenir » écrivait Salvador Dali en 1931. Il ne savait pas si bien dire." 


Jean Clair, 1983. La coupure que j’ai pratiquée est une démonstration assez longue sur le statut alambiqué de l’oeuvre d’art dans les musées, je ne l’ai pas reproduite - déjà que je n’ai pas le temps de vous donner son texte sur le sexe et l’art… Ceci étant, retenons pour aujourd’hui le mouvement historique sur le long terme, en étant bien conscients que la multiplication des églises était plus logique par rapport à l’existence du culte, que ne le fut celle des musées. Le culte collectif de l’art est une idolâtrie. Au moins, les mosquées, c’est de nouveau cohérent. Ce qui n’empêche pas, il s’en faut, les riches arabes musulmans de jouer un rôle dans le marché de l’art, "dans les déserts" ou ailleurs, y compris avec les conseils éclairés de quelqu’un comme Dominique de Villepin. Qui paie commande…

vendredi 22 décembre 2017

"Pointiller sans cesse..."

Feuilletant la « Traduction & Paraphrase en Vers Français » de L’Imitation de Jésus-Christ par Corneille, je tombe, au fil d’un passage consacré à la vanité des savoirs érudits et des querelles idéologiques en comparaison de la recherche et de la contemplation de la Vérité divine, sur une strophe dont les échos contemporains n’ont pas été sans me réjouir : 

"Grande perte de temps, et plus grande foiblesse, 
De s’aveugler soi-même et quitter le vrai bien, 
Pour consumer sa vie à pointiller sans cesse
Sur le Genre et l’Espèce
Qui ne servent à rien."  

jeudi 21 décembre 2017

"Retenez bien une chose : la couleur de peau n’est pas un déguisement."

De nouveau à la bourre, je me contente de cette citation assez surréaliste issue d'un article lui-même inénarrable (http://www.liberation.fr/checknews/2017/12/19/pourquoi-le-fait-de-se-grimer-en-noir-est-associe-a-la-pratique-raciste-du-blackface_1617742) consacré au déguisement (enfin, non, donc, ce n'est pas un déguisement...) d'Antoine Griezmann. Je vous en conseille la lecture intégrale, tant que c'est disponible en ligne. Avec cet axe de lecture : pour savoir, finalement, qui décrète que ce qu'a fait Griezmann est raciste, il faut revenir à la vieille définition comme quoi l'opium fait dormir parce qu'il a une vertu dormitive. D'un point de vue logique, cet article se résume à ça. D'un point de vue moral, puisqu'on est chez Libé, donc chez les rebelles, on peut admirer comment ces gens-là ne reconnaissent la légitimité de l'autorité que lorsqu'ils sont déjà d'accord avec elle. Le mélange de ces perspectives donne un discours moralisateur, conformiste, méprisant - et par ailleurs d'un niveau intellectuel très faible.

mercredi 20 décembre 2017

"Ne travaillez jamais."

Fameux slogan apparu sur un mur parisien en mai 68, dont on attribue la paternité aux situationnistes, voire le tracé à Dieu-Debord lui-même. Slogan devenu un des symboles de la gauche libertaire, maintenant régulièrement appelée libérale-libertaire. En réalité, il y a là un malentendu, dénoncé il y a des années par quelqu’un comme Jean-Pierre Voyer : c’est là-dessus que je souhaitais revenir, après la citation d’hier, afin d’expliquer en quoi les tirades d’apologie du travail de Péguy et Bonnard d’un côté, l’anarchisme d’un Cioran de l’autre, pouvaient ne pas être aussi éloignés l’un de l’autre qu’ils ne le semblent à première vue. 

Quand Péguy, tout au long de L’argent, oppose systématiquement (trop systématiquement ?) le monde ancien, qui est resté le même depuis des temps très anciens, où le travail bien fait est tellement honoré que personne ne songe sérieusement à bâcler son travail, encore moins à le saboter, et le monde moderne, capitaliste, où, sous l’influence du bourgeois qui ne respecte pas l’argent, le travailleur se met à ne pas respecter son propre travail ; quand, de plus, Péguy (F. Luchini cite précisément ces passages) explique qu’avec le monde moderne, capitaliste, le travailleur pauvre n’est plus protégé de rien alors qu’avant, s’il était honnête, il pouvait vivre, pauvrement certes, mais décemment, et ce jusqu’à la fin de ses jours ; il est bien évident que ces oppositions sont nourries par une autre : le travail contre le salariat, le travail contre l’esclavage salarié. C’est parce que l’économie devient capitaliste, c’est parce que les rapports entre humains sont vus de plus en plus par le prisme de l’argent, que le travail ne veut plus dire du tout la même chose pour une paysan de l’Antiquité, du Moyen Age, de l’Ancien Régime, ou pour un ouvrier d’usine ou un cadre du tertiaire. Ceux-ci sont des esclaves salariés, des prostitués en somme, l’hypocrisie en plus vis-à-vis de soi-même et des autres par rapport aux prostituées authentiques, quand les premiers s’inséraient dans un système - éventuellement dur, pas exempt d’injustices, c’est une autre question - d’obligations et de protections où l’argent n’était pas la seule mesure des choses. (D’ailleurs, malgré ses efforts permanents depuis plus de deux siècles, l’argent ne parvient toujours pas, en dépit des efforts conjugués des capitalistes et des gauchistes matérialistes, à être la mesure de toutes choses. Ce n’est pas faute d’essayer.)

A ceux qui pourraient voir là de la naïveté ou une pudeur bizarre, mal placée, par rapport à l’argent, je signalerai qu’étant moi-même dans le commerce, je parle d’argent tous les jours et n’ai pas de temps à perdre à jouer les mijaurées sur le sujet. Ceci d’autre part sans aucune honte à être marchand : il en a toujours fallu, ils sont là pour mettre de l’huile dans le système (relisez votre mythologie grecque). Le problème du capitalisme, c’est que les marchands sortent de la place qui est la leur pour prendre le pouvoir, pour prendre toute la place - et pour faire travailler les autres autant qu’eux peuvent avoir éventuellement envie de le faire. 

Cette parenthèse close, il ne reste plus qu’à conclure la démonstration. "Ne travaillez jamais" ne voulait pas dire "N’en foutez pas une et touchez votre RSA et l’argent de papa-maman" ; a contrario, ce qui répugnait Cioran était bien sûr le travail en tant qu’obligation salariée - cela ne l’a pas empêché de bosser dur, de fignoler ses aphorismes, de nous laisser une oeuvre - le mot fut aussi synonyme de travail. 


CQFD. Parlant de Q, j’essaie de vous donner bientôt de goûteux textes de Jean Clair sur le et les vagin(s), mais les journées ne font que 24 heures, et ces extraits sont assez longs. A demain en tout cas !   

mardi 19 décembre 2017

Bonnard dans la lignée de Péguy.

Ce texte n'est pas sans rappeler des passages que j'ai cités récemment de L'Argent, dont certains sont lus par F. Luchini dans son spectacle - j'y étais hier (public 100% blanc, le vivre-ensemble a encore des progrès à faire, hélas, mille fois hélas) -, sous l'influence de Finkie paraît-il. Me voilà sur la même longueur d'ondes qu'Alain Finkielkraut, je dois vieillir. Ceci dit, je note ça pour prendre date, Fabrice Luchini ayant cité un texte de Cioran sur le thème "Ne travaillez jamais", pour enchaîner sur des sentences de Péguy sur le travail, en faisant sa transition via l'opposition entre ces deux états d'esprit, il me semble qu'en réalité le Roumain fasciste et l'Orléanais socialisant ne sont pas si éloignés l'un de l'autre. - Mais place à Bonnard, j'essaie de vous développer ces importantes nuances à l'occasion : 

"Abolir cette envie, le sentiment le plus répandu chez tous les Français, le poison social. Apprendre qu'il n'est pas humiliant d'obéir ; que commander est une chose qui comporte de grands devoirs ; rendre le sentiment du respect ; rendre le goût du travail. (Sabotage : que peut valoir un homme qui accepte de mal faire ce qu'il fait, qui le veut ? Il n'y a pas de déchéance plus profonde, plus sûre, plus complète que de se dégrader dans son oeuvre.)"

J'essaie de prendre le temps un de ces jours de vous anarchiser ce texte. Je rappelle par ailleurs que l'envie est un péché capital. Les Français et les Arabes ont bien des points communs à ce niveau, hélas, mille fois hélas. 

lundi 18 décembre 2017

A la bourre ce jour.

Je fais donc bref et me contente de citer le début du livre de A. Abauzit, La France divisée contre elle-même, tel qu'il est reproduit sur Le Salon Beige : 

"La république des lumières a son peuple, le peuple jacobin ; sa langue, la langue de bois ; sa religion, la laïcité ; sa morale, le politiquement correct ; son séminaire, l’éducation nationale ; son église, la franc-maçonnerie ; son anthropologie, le déracinement ; sa sociabilité, le vivre ensemble ; ses inquisiteurs, les associations antiracistes ; ses enfants chéris, les organisations communautaires.

Et par dessus tout elle a un ennemi intime à abattre : la France."

dimanche 17 décembre 2017

(Picasso, les femmes, Dieu, tout ça ; suite.)

Et Jean Clair d’enchaîner, quelques paragraphes après : 

"Aussi, quel aveu de sottise, celui des biographes, aujourd’hui acharnés - pardon, acharné(e)s car de « biographe », mot où l’ogre affleure, quel est le féminin ? - à le peindre sous les traits de l’ogre par conséquent, démon noir, Minotaure qui dévorait ses épouses, ou, plus simplement, du surhomme qui jetait ses femmes après qu’il en avait usé. De lui, on pourrait plutôt dire ce qu’une femme [Micheline Sauvage], avant que le féminisme n’empoisonne les [rapports entre les, ajout de AMG] sexes, écrivait de Don Juan : « Non pas le profanateur de l’amour, mais le héros de l’amour profane ».

Toute passion se nourrit de sacrifices. Le sacrifice est Passion. Il faut être Américain, et croire ingénument que l’art est utile à éduquer les petits enfants et à purifier les adultes, donc nécessaire au welfare d’une société éclairée, pour croire à l’innocence de l’art. Un artiste est un criminel, un hors-la-loi, un pervers. A ceci près qu’il paye ses forfaits au prix fort, et d’une autre monnaie que celle dont on règle, en salle des ventes, ses oeuvres, une fois qu’il est mort. Son génie, quel est-il, sinon s’arroger sur le visible un droit de regard que le commun n’a jamais su prendre ? De là que tant de religions interdisent les images."


Tant de religions, mais pas la catholique, soit dit en passant.   

samedi 16 décembre 2017

Féminisme intégral :

"On m’a demandé, il y a une vingtaine d’années, de faire une conférence sur l’art et la sexualité. Je suis allé voir Picasso et je lui ai demandé : que dois-je dire ? Il m’a répondu : « C’est la même chose ». (…) Picasso a été fasciné par la sexualité, il l’a vécue intégralement dans son art et dans sa vie. Chaque fois qu’il change de femme, il change de norme, il change de vision, parce qu’il possède littéralement la femme jusque dans sa vision ; c’est lui-même qui change."


La coupure est de Jean Clair, à qui j'emprunte cette citation de Jean Leymarie. Il y a évidemment de nombreux rapports avec le blog d’hier (outre cette coïncidence : la phrase de Van Gogh que j’ai utilisée comme titre est citée par Pialat dans la grande scène (presque) finale de A nos amours, scène dans laquelle un intellectuel bon teint croit intelligent de minauder sur l'art et les érections de Picasso). Bonne soirée ! 

vendredi 15 décembre 2017

"C’est vous qui êtes tristes !"

Au sujet du livre de Gracian Art et Figures de l’Esprit (1648), Benito Pellegrin, traducteur et spécialiste du jésuite, écrit (je pratique un certain nombre de coupures, que je ne signale pas toujours) : 

"Dans ce traité, le fonctionnement de l’esprit est analysé à travers le mot d’esprit et ses mécanismes de parité / disparité, de binarité explicite ou non, avec une intuition fulgurante et un esprit de système qui préfigurent les analyses de Jean Paul et de Freud. Mais Gracian condamne la gratuité du trait d’esprit, en faveur d’une exigence d’efficacité persuasive. (…)

Dans cet ouvrage longtemps méprisé, on remarquera que Gracian tire ses exemples de jeux de mots d’auteurs autant profanes que sacrés (…) : saint Augustin, saint Ambroise et nombre de prédicateurs anciens ou modernes sont presque autant sollicités, appelés à preuve ingénieuse, que Gongora ou Martial. On est surpris, de nos jours, de ces jeux de mots, pointes, traits, saillies, calembours, qui émaillaient des sermons dont notre esprit de sérieux, hérité du rationalisme et du positivisme bourgeois, se fait aujourd’hui une image grave et pompeuse. Pourtant, nous avons là le témoignage d’un art oratoire constellé de pointes que les jésuites portèrent sans doute à leur plus haut degré de voltige verbale vertigineuse, exemple ludique d’une théâtralisation baroque oratoire qui vise à l’impression de l’affect par l’expression de l’effet : le jeu de son fait sens, sensation. (…)

Cependant, on sent une sourde nécessité de justification de ce feu d’artifice de l’esprit. Les temps ne sont plus à cette ivresse du mot pour le mot parfois, à cette joie du jeu ingénieux : de l’extérieur, les jansénistes fermés à l’art, avec un sérieux de plomb, un intégrisme sans concession, attaquent dangereusement cette rayonnante et vibrionnante Compagnie de Jésus, taxée de légèreté doctrinale et morale. Si le railleur Pascal des Provinciales satirise le laxisme casuiste des jésuites avec un brio digne de son brillant objet, un Antoine Arnauld, qui « écrivait mal sans effort », ne prête guère à rire ni à sourire : le jansénisme tire peut-être de ses origines bourgeoises, laborieuses, de sa récupération du cartésianisme, un culte étriqué du bon sens, une méfiance viscérale envers l’aristocratisme fantasque, fastueux et gratuit. Fondement de l’art et du jeu de mots, la métaphore, mise en procès, est perçue comme « un amas de faussetés éclatantes », un diabolique écran masquant la vérité."


B. Pellegrin ne donne pas les références de ses propres citations. - Mais cela peut vous rappeler l’état d’esprit de certaines querelles contemporaines, l'excessif sérieux, en mode balai dans le cul, mêlé à l'envie (péché capital...), une méfiance envers la gratuité, la luxuriance, la générosité somme toute. Je ne cite personne !  

jeudi 14 décembre 2017

Un gigantesque effort...

Je tire deux citations du dernier numéro de L’Incorrect

Jean-François Chemain, sur la France laïque républicaine et la France monarchiste chrétienne : 

"Elles sont deux branches sorties d’un même tronc : la France chrétienne. Les débats qui l’agitent viennent de loin, on y retrouve de vieilles querelles, comme le pélagianisme, le gallicanisme, l’absolutisme politique ou le jansénisme. Un laïcard de gauche n’est à mes yeux qu’un curé gallican adepte de l’augustinisme politique, c’est-à-dire quelqu’un qui pense que l’État est là pour faire appliquer, mieux que l’Église, les principes évangéliques. D’où le fait qu’il tape sur l’Église, en tant qu’elle fait concurrence à l’État, tout en nous gavant de leçons de morale. Le prototype de l’homme de gauche, c’est le curé défroqué… La Révolution en était pleine, comme le PCF des années 60."

Ce mélange des genres (au lieu de "rendre à César…, et de rendre à Dieu…") permettant par ailleurs de reprocher à la fois à l’Église sa dureté et son laxisme, selon que ce soit le défroqué mal à l’aise avec lui-même, ou le politique qui se mêle de moeurs et de conscience, qui s’exprime. 

La deuxième citation vient d’un article de Vincent Coussedière. Je n’ai pas le numéro 1 avec moi, et ne peux pas vérifier s’il était l’auteur d’un des bons articles du premier numéro, sur l’impossibilité d’un gramscisme de droite. Quoi qu’il en soit de ce point, voici la citation, qui elle-même cite un bon auteur : 

"Les tentatives actuellement à la mode de refondation idéologique de la droite nous semblent… vouées à l’échec. Et c’est tant mieux. Tout simplement parce que ce qui fonde la « droite », si tant est qu’elle existe, n’est pas l’idéologie, mais la résistance à l’idéologie. Baudrillard disait du masculin qu’il était un gigantesque effort pour sortir du féminin. On pourrait dire de la droite qu’elle est un gigantesque effort pour sortir de la tentation idéologique de la gauche…"

Ce qui rejoint l’idée souvent exprimée ici, parfois, depuis que j’ai pris connaissance de ses livres, par l’intermédiaire de Jean Madiran : la droite est une création de la gauche ; il est donc moins important de savoir ce que peut être « être de droite » (même si cela aboutit à des idées intéressantes), que de refuser d’être de gauche (même si cela ne signifie pas qu’il faille rejeter tout ce qui vient des diverses (de moins en moins) composantes de la gauche). Très simplement : la gauche refuse le péché originel et la liberté-pour-les-ennemis-de-la-liberté, il faut déjà n’avoir moralement et intellectuellement rien à faire avec de pareils refus. Ce ne serait déjà pas rien, et vaudrait bien trois "refus" dans le même paragraphe. 


(Quant à la magnifique réflexion de Baudrillard, d’inspiration chrétienne (judéo-chrétienne, pour le coup ?) et freudienne, si quelqu’un a la référence…)   

mercredi 13 décembre 2017

Extraits, sans autre ordre que chronologique, du journal de Morand (1974).

"Si l’on veut savoir si untel est pédé, ou avare, ou lâche, il faut consulter un autre pédé, un lâche, ou un vrai avare. Les gens se reconnaissent, à coup sûr, entre eux, à leur propre vice."

"On nous explique un peu partout que la révolte de 1968, le drapeau noir, c’est le meurtre du père, la condamnation des vieux. Mais quel est ce père ? Le marxiste ? Le jacobin ? Le radical-socialiste IIIe, ou l’hitlérien ? 
« C’est un mouvement religieux », disait en 1968 une jeune étudiante. La révolte contre Marx, contre Descartes, père de Marx. D’où le retour (Garaudy) du Marx de 1844 honni par le PC. 
La constante de Planck, les quanta, Heisenberg, père des hippies, de l’espace-temps. « Quand Dieu crée, c’est qu’il se prépare à écrire » (Bossuet). 
« Les forces organisatrices n’entrent dans l’espace qu’à regret », phrase de Bergson, d’une profondeur à la Bossuet. 
Quoi de plus joli qu’une femme qui dit oui, rien qu’avec un baissement de paupières."

"L’histoire de France est une suite de réactions contre des étaux : lutte de Philippe Auguste contre l’Empire et les Plantagenêts ; des rois Louis XIV et Louis XV contre l’Espagne et l’Autriche, autres tenailles ; et aujourd’hui, entre USA et arabes musulmans."


(Je plaisante, il avait bien sûr écrit URSS. Mais il fallait actualiser, et vous connaissez mes tropismes issus de la lecture de Monnerot, le communisme, Islam du XXe siècle, l’Islam, communisme du XXIe, et les Français si j’ose dire au milieu…)

mardi 12 décembre 2017

"Et l'Islam ?"

Nous recevions l’autre jour un sympathique couple de voisins mélenchoniens, la conversation a porté, je ne me souviens plus pourquoi ni comment, sur le baptême de mes enfants. Il se trouve, je vous épargne les détails, qu’ils ont été baptisés, dans des conditions assez rocambolesques, pour faire plaisir à leurs grands-parents, à une époque (2002) où j’étais assez scandalisé par cette pratique, puisqu’on "ne demande pas leur avis aux enfants". (J’ai maintenant compris que c'est justement la logique de ce sacrement.) A la fin de notre récit, je crois honnête de préciser à l'assemblée que j’ai depuis évolué sur cette question comme sur la religion catholique en général, ce qui suscite immédiatement la consternation de nos invités. S’ensuit un dialogue tout à fait courtois, mais où je ne pouvais exposer le moindre argument positif quant au catholicisme, sans m’entendre répondre, régulièrement, comme un réflexe : "Et l’Islam ?"

Il faut je croire y voir deux raisons proches l’une de l’autre. Il y a d’abord un côté « lutte contre les discriminations », poussé jusqu’à la caricature : dans une conversation privée entre des gens qui n’ont par ailleurs aucune responsabilité publique, on devrait quand même pouvoir dire du bien d’une religion sans être sommé d’en dire autant de la religion principale des immigrés, des migrants, des réfugiés, etc. Le politiquement correct est tel que tout particulier se doit de parler comme un président de la République en un discours officiel, marchant sur des oeufs et devant ménager toutes les susceptibilités. L’autre attitude de mes interlocuteurs (d’autres invités ont fait chorus ; personne parmi nous n’était croyant, personne n’était musulman) reposait sur l’idée que "toutes les religions sont bonnes", i. e. "toutes les religions sont égales", i. e. "il faut toutes les accepter… momentanément", i. e. "il faut donc bien aussi accepter le catholicisme.", i. e. "on veut bien ne pas te considérer comme un sale type si tu admets l'égalité de toutes les religions." Sans je crois avoir abdiqué sur cette problématique, je n’ai malheureusement pas eu la présence d’esprit de faire explicitement remarquer que cet oecuménisme plat est, Jean Madiran le remarquait avec à-propos, une insulte à toutes les religions, chacune d’entre elles se considérant, et dans le principe elles ont raison, supérieure et plus vraie que les autres. 


Tout cela n’est pas bien nouveau. Il reste néanmoins surprenant d’observer in vivo ces réflexes de Français qui, quoi qu’ils en aient, sont formés par une culture aux racines chrétiennes (à dessein je n’écris pas judéo-chrétiennes, je reviendrai peut-être là-dessus à l’occasion) et qui croient que c’est en évacuant le plus possible cette culture et ces racines, qu’ils "amélioreront les choses". En pleurer n’empêche pas d’en rire - après tout, voir des gens qui ne savent pas ce qu’ils font est aussi un ressort comique.  

lundi 11 décembre 2017

"Le plus fin de l'art de la nage est de ne pas mouiller ses vêtements."

Une phrase que l'on comprendra probablement mieux si je lui adjoins celle-ci :

"Il faut une grande adresse avec ceux qui se noient si on veut les sauver sans nul danger pour soi" - ceci vous l'aurez deviné dans un contexte politique.

B. Gracian. Fin comme un jésuite, courageux comme un templier, voilà le Français de demain !

dimanche 10 décembre 2017

Bonnard, clair et lapidaire.

"On s’échappe plus aisément d’une société tranquille que d’une société agitée. L’ordre social doit avoir la modestie de ne pas compter. Or, quoi qu’il semble, c’est quand il est stable qu’il compte le moins. C’est quand il est sans cesse remis en question qu’il devient importun."

samedi 9 décembre 2017

Une phrase de Lacan citée par J. Rochedy.

"Toute femme cherche un maître sur lequel elle règne."


vendredi 8 décembre 2017

"Felice mi fa..." L'éternel féminin jouit du regard des hommes.

La citation aujourd'hui sera musicale, un extrait de La Bohème (Puccini), l'admirable air de Musetta, la fille pauvre qui séduit des vieux barbons riches pour échapper à la misère, mais éprouve des regrets à l'égard de son ancien amant sans le sou, Marcello.

La vidéo vaut ce qu'elle vaut, mais j'ai choisi un truc un peu ringard avec des sous-titres en anglais, plutôt que des mises en scènes dites audacieuses, avec tous les guillemets du monde, alors que la confession de Musetta sur le plaisir qu'elle prend à être regardée par les hommes, tout en lui permettant de réveiller le désir de son ex, prend paradoxalement appui sur une forme de pudeur et l'exaltation de ce que les hommes cherchent à deviner, "l'occulte beltà".

Montrer/cacher, c'est la vraie dialectique, autre chose que chez Hegel et Marx, avec tout le respect que j'ai gardé pour eux.

(Je vous laisse activer le mode plein écran.)


jeudi 7 décembre 2017

Images contemporaines.

"Les hommes à genoux sur la rive du ciel

Et le docile fer notre bon compagnon

Le feu qu’il faut aimer comme on s’aime soi-même

Tous les fiers trépassés qui sont un sous mon front

L’éclair qui luit ainsi qu’une pensée naissante

Tous les noms six par six les nombres un à un

Des kilos de papier tordus comme des flammes

Et ceux-là qui sauront blanchir nos ossements

Les bons vers immortels qui s’ennuient patiemment

Des armées rangées en bataille

Des forêts de crucifix et mes demeures lacustres

Au bord des yeux de celle que j’aime tant

Les fleurs qui s’écrient hors de bouches

Et tout ce que je ne sais pas dire

Tout ce que je ne connaîtrai jamais..."


(Apollinaire)

mercredi 6 décembre 2017

"Vivre sans temps mort. Jouir sans entraves."

J'avais un peu oublié la première partie de ce slogan, je repensais ces jours-ci à la seconde. Je ne parle pas de la consommation et de la société du même nom : de même que, comme le disait Jean-Marie Straub, Dieu le bénisse, le porno n'a jamais satisfait personne, je ne suis pas sûr que la société de consommation ait jamais fait jouir quiconque. Je parle, donc, d'érotisme et de plaisir sexuel, et me demande comment il est possible de jouir sans entraves. Avec sa copine régulière ou son épouse légitime, oui, c'est possible, mais sinon, sans entraves, c'est-à-dire sans obstacle, sans difficulté, sans parcours du combattant de la séduction, je ne vois pas comment on peut prendre du plaisir. Les récits érotiques le savent bien, qui multiplient les obstacles, les murs métaphoriques : la belle doit se mériter. Les hasards de mes lectures m'ont fait tomber hier, alors que je réfléchissais à tout ça, sur une phrase de Karl Kraus, "Le plaisir érotique est une course d'obstacles", il m'a été difficile de ne pas y voir une confirmation de mes divagations personnelles.

D'où il ressort deux amusants paradoxes : d'une part c'est me semble-t-il au sein du couple légitime que l'on peut le plus, dans la pratique, jouir sans entraves ; d'autre part, les contempteurs de la société de consommation, les critiques de cette supposée jouissance, me paraissent, en admettant l'existence de ladite jouissance, avouer ne pas connaître grand chose au plaisir. - Tout ceci écrit bien sûr en toute humilité, vous le savez bien.

mardi 5 décembre 2017

Vous risquez de bouffer du Kraus les prochains jours…

"Un bon styliste doit éprouver au cours de son travail une volupté narcissique. Il doit objectiver son oeuvre au point de se surprendre à en être jaloux et d’avoir besoin de se souvenir que c’est lui qui en est le créateur. Bref, il doit cultiver cette suprême objectivité que le monde nomme vanité."

"Quand monsieur Shaw s’attaque à Shakespeare, c’est de la légitime défense."

"Autrefois les décors étaient en carton-pâte et les acteurs étaient de vrais acteurs. Désormais les décors sont au-dessus de tout soupçon et les acteurs sont en carton-pâte."

"Aux yeux des médiocres, il est plus important de ne pas penser que l’on a fait une grande oeuvre que d’avoir fait une grande oeuvre."

"En art aussi, le pauvre n’a pas le droit de prendre quoi que ce soit au riche ; mais le riche a le droit de tout prendre au pauvre."



"Le verbe et l’essence : l’unique mariage auquel j’ai aspiré dans ma vie."

lundi 4 décembre 2017

"Celui qui ne cède rien sur les mots ne cède rien sur les choses." - Cher Karl, notre prophète.

"Pourquoi y en a-t-il tant qui écrivent ? Parce qu’ils n’ont pas assez de caractère pour ne pas écrire."

"Un volume entier peut donner l’illusion qu’il livre la vision du monde de l’auteur alors qu’il se contente d’exposer une vision du monde empruntée. Une seule phrase fait la preuve que l’on a une vision du monde ou que l’on n’en a pas."

"Il est légitime d’interdire les satires qu’un censeur peut comprendre." - Si les journalistes dans leur ensemble étaient capables de comprendre cette phrase... Passons. 

La dernière, je l'ai découverte avec d'autant plus de plaisir que j'avais griffonné ce matin quelques notes sur le même thème : 

"Ma langue est l’universelle putain à qui je redonne sa virginité." 

 - Tout un programme politique ! 


dimanche 3 décembre 2017

Qui n'avance pas recule. Qui stagne crève.

C'est vrai des individus comme des peuples. Salazar l'avait senti, qui diagnostiquait : "Il semble que maints pays aujourd’hui sont fatigués de leur existence." - En 1956 !… Mais peut-être cette prophétie n’était-elle pas si difficile à faire, surtout avec l’angle d’attaque procuré par la position décalée du Portugal à cette époque : les fatigues de la guerre, le matérialisme croissant d’une Europe achetée par les États-Unis, une génération qui est en train de préparer consciencieusement sinon consciemment le terrain à celle de 68... Un esprit un peu inactuel, pour employer une terminologie nietzschéenne qui colle à notre titre, pouvait déjà sentir la fatigue morale et spirituelle des peuples de l'Europe occidentale, sous le dynamisme économique et l’agitation verbale. 

samedi 2 décembre 2017

Pince-mi et Pince-moi sont dans un bateau.

"Et je ne hais rien tant que le modernisme. Et je n’aime rien tant que la liberté. (Et en elle-même, et n’est-elle point la condition irrévocable de la grâce.)

Disons les mots. Le modernisme est, le modernisme consiste à ne pas croire ce que l’on croit. La liberté consiste à croire ce que l’on croit et à admettre, (au fond, à exiger), que le voisin aussi croie ce qu’il croit.

Le modernisme consiste à ne pas croire soi-même pour ne pas léser l’adversaire qui ne croit pas non plus. C’est un système de déclinaison mutuelle. La liberté consiste à croire. Et à admettre, et à croire que l’adversaire croit. 

Le modernisme est un système de complaisance. La liberté est un système de déférence. (…)

Il ne faudrait pas dire les grands mots, mais enfin le modernisme est un système de lâcheté. La liberté est un système de courage."


Bien sûr, quand un moderniste qui ne croit pas à ce qu’il croit et qui croit, pour le coup, que personne ne croit à ce qu'il croit, rencontre quelqu’un qui croit à ce qu’il croit, quitte à mentir sur le sujet… La France tombe à l'eau ! 

(Péguy, au fait. Vous aviez reconnu (y compris la ponctuation particulière). - Et les musulmans ont au moins la décence d'exiger que nous croyions à ce à quoi nous croyons, et ont bien raison de nous mépriser de ne pas y croire.)

vendredi 1 décembre 2017

Écrit en 1913.

"On ne peut se représenter quelle était alors la santé de cette race. Et surtout cette bonne humeur, générale, constante, ce climat de bonne humeur. Et ce bonheur, ce climat de bonne humeur. Évidemment on ne vivait point encore dans l’égalité. On n’y pensait même pas, à l’égalité, j’entends à une égalité sociale. Une inégalité commune, communément acceptée, une inégalité générale, un ordre, une hiérarchie qui paraissait naturelle ne faisaient qu’étager les différents niveaux d’un commun bonheur. On ne parle aujourd’hui que de l’égalité. Et nous vivons dans la plus monstrueuse inégalité économique que l’on ait jamais vue dans l’histoire du monde."

Quand Péguy écrit "dans l'égalité", on a l'impression de lire : "dans la merde". On n'était pas encore dans la merde...