jeudi 4 janvier 2018

"Je date la fin du monde de l’ouverture des lignes aériennes." (Karl Kraus)

"Après 1920, la lumière électrique vient remplacer la lueur des lampes à pétrole et l’éclat du jour naturel. (…) Se rappeler les pages d’Orlando où Virginia Woolf décrit à merveille ce passage des temps anciens aux temps modernes, quand l’éclairage électrique vient chasser les derniers coins d’ombre, que l’on commence à rouler les tapis, décrocher les tentures, ranger les voilages, sortir les plantes grasses, peindre les murs en blanc, et transformer, au nom de l’hygiène, les maisons en chambres de clinique."

Jean Clair (encore ! mais il aborde des sujets assez variés, et si je n’ai pas choisi ma citation le matin, je ne peux tout de même pas me balader avec 3 ou 4 livres sur le dos tous les jours…) 

Le paradoxe, c’est qu’après avoir "transformé les maisons en chambre de clinique" on a petit à petit interdit aux gens de rester mourir chez eux. Le vivant, le quotidien, est contaminé par la médecine, la mort est exclue du quotidien, de l'expérience de la vie : le contraire de ce qu’il faudrait faire. Il est vrai que lorsque j’ai dit à ma chérie que si Dieu m’en donnait le choix et la possibilité j’aimerais mourir chez moi, entouré des miens (italique parce que c’est à certains égard une drôle d’expression), je n’ai pas décelé dans son regard un grand enthousiasme. Il est vrai que l’idée de torcher son mari, son père, son grand-père…, pendant x mois ou années n'est pas propre, si j'ose dire, à susciter beaucoup d'élan. Mais si on délègue à d’autres - suivez mon regard - le soin de nettoyer notre merde, il y a une forme de logique à ce qu’ils nous voient à travers un certain prisme. 


Avant que l’on ne m’accuse d’être obsessionnel, je bifurque sur la phrase de Karl Kraus. Il ne s’agit bien sûr pas uniquement d’une critique réactionnaire de la modernité : les lignes aériennes, c’est la fin du voyage, c’est l’unification du monde, donc oui, à terme et d’une certaine façon, sa fin. C’était déjà l’effacement des frontières… - Mince, l’obsession revient, je m'arrête.