lundi 29 janvier 2018

Puisque l’on parle de Maurras, parlons-en.

"Charles Maurras est frappé d’indignité nationale. Il a été condamné à la perpétuité pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi.", nous dit notre bien-aimée Licra dans un tweet publié durant cette brève affaire de « vraie-fausse commémoration » qui montre si bien le sectarisme mal assumé de notre république des droits de l’homme et de l’amour universel. 

Cette république et ce sectarisme, Maurras les a combattus et subis, l’idée d’être « commémoré-mais-non-célébré » par un régime fondé par le général de Gaulle et dirigé maintenant par des partis non représentatifs de la population et par des groupes de pression non sans rapport de filiation avec ce qu’il pensait à tort ou à raison être les « ennemis de l’intérieur », cette idée lui aurait sans doute semblé pour le moins fumeuse. 

Il ne s’agit donc pas dans ces lignes de « prendre sa défense », mais de profiter de ce qui se dit ici et là pour évoquer l’un des mensonges les plus importants de l’histoire contemporaine. On peut reprocher à Maurras beaucoup de choses, et notamment certains articles parus pendant la guerre, mais qu’il ait été condamné « pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi » est le symbole de l’escroquerie qu’a pu être à certains égards la Libération. Maurras était anti-allemand jusqu’à l’obsession et la caricature, n’a jamais collaboré avec l’occupant, l’a même ouvertement défié à de nombreuses reprises (Michel Déon, qui fut son secrétaire à Lyon à la fin de la guerre, en donne un exemple dans ses souvenirs). Ce que les communistes et leurs alliés ont fait en condamnant Maurras, et pour de tels motifs, est une illustration typique du principe selon lequel ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. A partir de l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933, qui ne cesse de réclamer que la politique extérieure de la République fasse preuve de fermeté à son égard ? Qui ne cesse d’avertir que si on laisse Hitler grandir et l’Allemagne se réarmer, la France encore fatiguée de l’immense effort de la guerre de 1914-1918 et probablement peu soutenue par l’Angleterre, ira au-devant de graves problèmes ? Maurras et l’Action française. Ont-ils été au pouvoir entre 1933 et 1940 ? Non. Les socialistes, oui, les communistes aussi (brièvement). Il n’est évidemment pas certain que la France eût pu s’opposer à l’expansion de l’Allemagne hitlérienne en 1935, mais si on ne l’a pas essayé, si on n’a pas écouté celui qui disait que plus on attendrait et plus le succès de nos éventuelles initiatives deviendrait aléatoire, si on a donné les congés payés aux ouvriers français pendant que les ouvriers allemands bossaient comme des ânes dans les usines d’armement, il n’est tout de même pas trop difficile d’aller chercher les responsables. Certains grands patrons le furent, j’y reviens plus bas. Léon Blum le fut aussi. Que les campagnes de l’Action française contre lui avant-guerre et pendant l’Occupation puissent nous choquer, c’est bien le moins. Cela suffit-il à l’exonérer de toute responsabilité ? 

D’autant que, je reviens à la Libération, en condamnant le vieux Maurras « pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi », les communistes et leurs alliés, ne se contentaient pas de faire porter le chapeau de certaines de leurs erreurs à quelqu’un d’autre, ils supprimaient du même coup, et c’est le tort historique de ceux de leurs alliés qui étaient gaullistes, une vieille droite, assez autoritaire dans ses principes, mais peu capitaliste dans sa mentalité. Pour le dire vite, la vraie droite que beaucoup cherchent en ce moment, « hors les murs » notamment, a été jetée avec l’eau du bain des collaborateurs - lisez ce que Rebatet écrit de Maurras dans les Décombres, en 1943, on voit la différence entre un pro-européen pro-allemand et un vieux nationaliste anti-allemand ; même leur antisémitisme, bien réel dans les deux cas, diffère - lors du procès Maurras. 

Et la vie politique en France en souffre toujours. Si en face de la gauche « humaniste », Macron-Mélenchon même combat de ce point de vue, ne se dresse qu’une droite affairiste d’un côté, collabo de l’autre, on comprend bien comment le système se reproduit. Par-delà l’escroquerie judiciaire dont il a été victime et ses propres faiblesses, un François Fillon a aussi été une victime lointaine de cette oblitération - négationniste, n’ayons pas peur des mots… - de la figure de Maurras, et de son identification simultanée (voilà un bel exemple d’amalgame) à celle de Rebatet. La droite française eut des torts, des industriels qui exportaient encore de l’acier en Allemagne pendant la drôle de guerre, ne pouvant ignorer que les nazis s’en servaient pour leur armement, aux collaborateurs les plus fervents. Mais ce que, malgré tous ses travers personnels, la figure de Maurras incarne, c’est justement un itinéraire  « ni pute ni soumise »,  « ni affairiste ni collabo ». A de nombreux égards un simple Fillon ne pouvait se sortir de ce mensonge historique et investir de sa personne cet espace à la fois disparu et vacant. Le prochain à vouloir réellement affronter la gauche - c’est-à-dire les partis de gauche et un peu ceux de droite, les journalistes,  les intellectuels, les milieux d’affaires, etc., ça fait du monde… - rencontrera la même difficulté. - Un spectre hante la politique française, celui du vieux Maurras…


(Ayant eu comme professeur d’histoire il y a bien longtemps Pascal Ory, qui fut mêlé à cette affaire, je ne suis pas sûr qu’il me contredirait fondamentalement… Mais ce n’est qu’une hypothèse.)