mardi 6 mars 2018

Feuilletant un recueil de textes de Thibaudet, je tombe sur ces lignes issues d’une recension du livre de Bernanos sur Drumont, La Grande Peur des bien-pensants, lignes qui rejoignent quelques réflexions éparses que je me faisais à part moi sur les paradoxes de la condition de pamphlétaire - j'insiste au passage sur la notion de paradoxe, dont certains estiment qu'elle est centrale dans le catholicisme :  


Les polémistes "sont exemptés de justice, comme le militaire pendant le combat. Et exemptés d’humanité. Il faut des polémistes à la vie politique, un aiguillon au boeuf du char de l’État - et Drumont comme Veuillot ont pensé que le chariot de l’Église avait parfois le même besoin. Et il en faut à la littérature, il en faut pour la littérature. Ce n’est pas seulement, ce n’est pas surtout d’avoir été baptisée par l’eau claire du Discours de la méthode qu’est forte la prose classique, c’est d’avoir eu sur les lèvres le vin nerveux et la gousse d’ail des Provinciales. Il est d’ailleurs certain qu’un bon polémiste n’est pas un polémiste bon, qu’il doit mettre un voile sur la troisième des vertus théologales, ressembler à cette dame dont parle Saint-Simon, qui avait supprimé de son Pater quotidien la phrase sur le pardon des injures, et que pour un écrivain chrétien, c’est là, en droit, une situation délicate et gênante. Mais en fait, les polémistes les plus violents, les plus truculents, ont été au XIXe siècle des polémistes catholiques, les Veuillot, les Barbey, les Bloy, les Drumont. Et Rome ne saurait empêcher L’Action française d’emboiter encore le pas."