vendredi 20 avril 2018

"Soutenir les principes occidentaux de manière occidentale..."

A ce degré de généralité, il est difficile de ne pas trouver des points de désaccord avec l’auteur - dommage qu’il n’ait pas lu Benoit XVI… Mais c’est l’intuition d’ensemble qui m’intéresse, et c’est à ce titre que je laisse la parole à Léo Strauss : 

"La tradition occidentale est menacée aujourd’hui comme elle ne l’a jamais été jusqu’à présent. Car maintenant elle n’est plus seulement menacée de l’extérieur mais aussi de l’intérieur, elle est dans un état de désintégration. Ceux qui parmi nous croient à la tradition occidentale, nous Occidentaux - nous Sapadniks, comme Dostoïeveski et ses amis avaient l’habitude d’appeler les Occidentaux parmi les Russes - doivent se rassembler autour du drapeau de cette tradition. Mais nous devons le faire d’une manière, sinon exemplaire de cette tradition noble, du moins inspirée d’elle : nous devons soutenir les principes occidentaux de manière occidentale ; nous ne devons pas tenter de noyer nos doutes dans un océan d’adhésion bruyante et larmoyante. 




Nous devons être conscients du fait que la vitalité et la gloire de notre tradition occidentale sont inséparables de son caractère problématique. Car cette tradition a deux racines. Elle est issue de deux éléments hétérogènes, de deux éléments qui, en dernière instance, sont incompatibles - l’élément hébreu et l’élément grec. Nous parlons, à juste titre, de l’antagonisme de Jérusalem et d’Athènes, entre la foi et la philosophie. La philosophie et la Bible affirment toutes deux qu’il n’y a finalement qu’une chose et une seule nécessaire à l’homme. Mais cette chose nécessaire décrétée par la Bible est à l’opposé de celle décrétée par la philosophie grecque. Selon la Bible, c’est l’amour obéissant ; selon la philosophie, c’est la libre enquête. Toute l’histoire de l’Occident peut être conçue comme une tentative répétée de produire une synthèse ou un compromis entre ces deux principes antagonistes. Mais toutes ces tentatives ont échoué - et de manière nécessaire : dans toute synthèse, aussi impressionnante soit-elle, un élément de la synthèse est sacrifié à l’autre, subtilement peut-être, mais sûrement. (…) La tradition occidentale ne permet pas de faire une synthèse de ces deux éléments mais seulement de les mettre en tension : c’est là le secret de la vitalité de l’Occident. La tradition occidentale ne permet pas la résolution définitive de la contradiction fondamentale, l’existence d’une société sans contradictions. (…) En nous rassemblant autour du drapeau de la tradition occidentale, soyons conscients du danger d’être charmés ou contraints par un conformisme qui serait la fin peu glorieuse de la tradition occidentale."





L’Occident est tension et contradiction. On avancerait bien sûr l’hypothèse que cette tension a eu nom christianisme, puis catholicisme, et que l’Occident s’enfonce dans le « conformisme », dans le nivellement par le bas, pour reprendre une expression du texte d’hier, justement parce qu’il a voulu larguer le catholicisme - qui a vécu par l’absence de catholicisme mourra par l’absence de catholicisme : voilà effectivement une « fin peu glorieuse »… Quoi qu’il en soit, l’idée maîtresse, Leo Strauss n’est pas le seul à l’avoir exprimée, reste séduisante : l’Occident a avancé tant qu’il a voulu concilier deux attitudes fondamentales de l’esprit humain, parce que si c’était peut-être impossible de le faire, cela restait la meilleure chose à faire. - J’ai mis en ligne il y a des années des réflexions de Chesterton et de Simone Weil sur le sujet. ("Le blanc est une couleur, nom de Dieu !", je crois que c’était le titre d’un de ces textes).