samedi 28 avril 2018

Dali : "Nous avons soif d’images concrètes".

Il y a peu d’analyses d’oeuvres dans Une vie en liberté : Michel Mourlet y raconte surtout les nombreuses et diverses rencontres (artistes, écrivains, journalistes, hommes politiques…) qu’il a pu faire au cours de sa vie. Une exception pourtant, au moins (je n’ai pas fini encore le livre) : plusieurs pages sont consacrées à l’oeuvre et aux propos du peintre  (monarchiste) Georges Mathieu. 



Voici quelques extraits de ce chapitre : 

"Non figurative, la peinture de Mathieu se situe néanmoins à l’opposé de la presque totalité de la non-figuration et dans le droit fil de la grande peinture française : par la noblesse innée du trait, la subtilité de l’arabesque, la richesse des tons, la fougue maîtrisée, l’équilibre final résultant des déséquilibres compensés, le sens du grandiose et, pour tout dire, de la fête. Certains critiques ont pu aller jusqu’à évoquer Watteau. 



Lui, stigmatisant la rupture opérée en deux siècles entre les artistes et la vie courante, se plaçait délibérément dans le sillage de Le Brun. 

Dans un texte daté de 1963, « La leçon exemplaire de Charles Le Brun », il proclame la vocation du peintre à marquer de sa griffe le style de son époque, à refuser la distinction stérile entre arts majeurs et mineurs, à suivre l’exemple de « cette manufacture royale qui sut réaliser en plein XVIIe siècle l’alliance des Arts et de l’Industrie que nous appelons tous de nos voeux aujourd’hui ! »




[Alliance réalisée d’une certaine façon plus de cinquante ans après : la France est désindustrialisée, ce qui lui tient lieu d’art n’est plus qu’un zombie subventionné, mais qui prend toute la place. L’État fait le vide partout. Comme disait Huysmans, s’inspirant de Courier : "Ce que l’État encourage dépérit, ce qu’il protège meurt." Et ce que l’État veut tuer, il le tue. L'administration a son génie propre, qui opère par la négativité. Note de AMG.]

 - Autrefois, m’expliqua-t-il ce jour-là, les Français vivaient avec leur temps. Richelieu vivait dans des meubles Louis XIII, Louis XV dans du Louis XV, Napoléon dans de l’Empire et le président Carnot dans du modern style. Pourquoi les Français d’aujourd’hui boudent-ils le mobilier de leur époque ? La raison en est simple : la qualité de ses formes est nulle. (…)

« C’est à l'artiste, écrit-il dans Pour une désaliénation de l’art, d’imposer au monde un nouvel art de vivre en rendant à ce monde d’abord le désir de vivre au sens plein du terme, c’est-à-dire participer. Faire accéder l’homme au processus créateur, alimenter la vie cosmique et sociale, tel est le rôle de l’artiste, et c’est sans doute le plus grand mérite des princes de l’Italie de la Renaissance que d’avoir compris cette évidence. » (…)

De toute la peinture non figurative, la sienne est la seule qui, par l’élégance furieuse de ses lignes et la somptuosité orchestrale de sa palette, éveille en moi un autre sentiment que la nostalgie de l’univers visible, une autre besoin que la « soif d’images » dont parlait Dali. (…)




A l’occasion d’une exposition à l’Ateneo de Madrid, en 1960, il déclarait à Jean Parvulesco : « L’art moderne, informaliste, choisit la dissolution de l’Esprit dans la matière, son asphyxie, sa mort. Tout se fige et pourrit sur place, revient au stade d’un magma informe qui, à son tour - le processus de dislocation, d’anéantissement se poursuivant implacablement - s’effrite, devient une poussière et, finalement, disparaît. »"

Voilà qui nous rappelle les diagnostics de Jean Clair (qui souligne par ailleurs souvent à quel point, à une époque, les artistes étaient aussi des scientifiques et des techniciens), à propos de Huysmans, Duchamp, la mort de l’art et son engloutissement dans le matérialisme, cités ici même les 20-21 et 23-24 février derniers, diagnostics qui m’avaient conduit à l’hypothèse (http://cafeducommerce.blogspot.fr/2018/02/montrer-le-fond-de-la-mer-le-montrer-et.html) selon laquelle le cinéma - et Dieu sait si M. Mourlet a pu écrire sur cet « art ignoré » - nous avait offert un sursis d’exaltation de la dignité humaine pendant presque un siècle, avant de succomber à son tour. 

Quoi qu’il en soit, quelques pages plus loin dans le même livre, on lit, dans un passage consacré au peintre Roger Chapelain-Midy, ce que celui-ci écrivait à l’auteur en 1989 : 

"Les forces de destruction de l’esprit sont internationales et un couvercle est mis sur tout ce qui s’y oppose. L’État, quelle que soit sa couleur, encense [cette subversion] et l’officialise. Les médias s’y prêtent… Je suis sûr qu’on assistera à un retournement brutal dans les temps futurs, je ne le verrai pas mais je veux y croire."






Ici la question se pose, même en appréciant à leur juste valeur la tonalité responsable des propos de G. Mathieu et de R. Chapelain-Midy, de savoir si l’art peut se sauver tout seul, ou s’il va lui falloir, disons-le rapidement, nouer une sorte d’alliance avec le fonds religieux dont il est issu. C’est un point sur lequel sans doute le païen revendiqué qu’est M. Mourlet et votre serviteur auraient motif à disputatio. - Je vais déjà finir son livre, en espérant que la troisième guerre mondiale n’éclate pas d’ici là, il faut de nos jours avoir des objectifs modestes. A demain !