mercredi 23 mai 2018

On a remplacé "aliénés" par "dominés" en partie pour évacuer la dimension de responsabilité de l'aliéné dans la domination qu'il subit.

Le féminisme est dans Éléments… et dans Limite, puisque Marianne Durano, à qui je vais laisser la parole, est membre fondateur de cette revue : 

"J’ai été biberonnée à Foucault et à Marx [moi aussi, note de AMG]. Je parlerai plus facilement d’aliénation que de domination. L’aliénation, c’est se rendre étranger à soi-même. C’est une notion cruciale pour comprendre la condition féminine d’aujourd’hui. Les femmes ne sont pas dominées par les hommes, comme des maîtres qui les enchaîneraient de l’extérieur, mais elles doivent maîtriser leurs corps pour le plier à leurs désirs façonnés par une société techno-marchande. Les luttes changent avec les nouveaux enjeux de notre monde. La lutte pour la pilule contraceptive et l’IVG sont des combats dépassés [pas la lutte contre, note de AMG]. Les femmes, en France, ne sont pas menacées aujourd’hui par les grossesses nombreuses ou les maris, mais par leur soumission à des dispositifs techniques de plus en plus invasifs. C’est bien le marché du travail et le marché de la technique qui constituent un horizon aliénant pour les femmes. (…)

Prenons l’exemple de la contraception. On pourrait dire que que ce sont les femmes qui demandent à prendre la pilule pour pouvoir différer l’âge du premier enfant. Sauf que cette demande est induite par un marché du travail qui repose sur la contraception. On ne peut pas être performante aujourd’hui sur le marché du travail en prenant le risque d’avoir des enfants jeunes à moins d’être exclue de la sphère de la productivité. La demande de pilule est induite par l’offre [et la légalisation de cette offre, note de AMG] de pilule. L’aliénation est un système qui s’entretient lui-même. Les hommes sont aussi dépossédés de leur propre fécondité et le choix repose intégralement sur les épaules de la femme pour le meilleur et pour le pire. (…)


Si on prend l’étymologie même du mot nature, natus, c’est « ce qui est né ». Ce qui définit la nature, c’est la naissance : l’ensemble des choses que l’homme n’a pas fabriquées. Il y a dans la fécondité des femmes comme dans la fécondité de la nature quelque chose qui échappe à l’emprise de l’homme, parce que la vie naît quand elle veut, elle est imprévisible. Cette emprise technique est la même pour l’environnement que pour les femmes. Le symbole ultime de cette alliance est le rachat de Monsanto par Bayer : Monsanto, premier producteur mondial de pesticides racheté par le premier producteur mondial de pilules contraceptives. C’est la même logique entre celle qui consiste à breveter, à instrumentaliser et acheter le vivant et celle qui consiste à maîtriser la fécondité féminine, à en faire un marché comme à un autre, à coups de substances chimiques. Sans surprise, les pesticides comme la pilule contraceptive sont des perturbateurs endocriniens et donc des polluants."